II- Etude d'une prothèse sportive performante : la flex foot cheetah
2- Etude des matériaux utilisés.
L'évolution de la prothèse est due à l'innovation et l'utilisation de nouveaux matériaux de mieux en mieux adaptés à la course.
A- Les matériaux de la lame.
De
nos jours la lame
la plus performante au niveau sportif est la flex-foot
cheetah.
La lame peut-être fabriquée avec des matériaux composites aux effets surprenants :
Un composite correspond à l'assemblage d'au moins deux matériaux non miscibles mais ayant une forte capacité d'adhésion. Un composite se compose d'une matrice et d'un renfort auxquels peuvent être ajoutés des charges ou des additifs. Le but est d'obtenir un nouveau matériau ayant des performances supérieures aux éléments seuls qui le composent.
Le renfort est une phase discontinue et très souvent sous une forme fibreuse ou filamenteuse dont le but est d'assurer la résistance mécanique du composite (tenue aux chocs...).
La matrice est au contraire une phase continue dont le but est de maintenir la cohésion de la pièce composite (sa forme) et la tenue des fibres mais également de répartir les contraintes sur toute la surface du matériau qui est ainsi protégé.
Des charges ou additifs peuvent être incorporés en complément. Ils permettent par exemple de protéger le matériau des UV, de modifier sa couleur (pigments) ou de lui donner une résistance au feu.
Dans le cas de la lame sportive la matrice utilisée est la résine époxy tandis que le renfort peut-être la fibre de carbone, kevlar ou de verre.
La résine époxy constituée de macromolécules est une résine thermodurcissable. Cette catégorie de résine se compose de chaînes réticulées entre elles. La réticulation est un phénomène durant lequel les chaînes se lient entre elles par des liaisons fortes de type covalent3. On obtient ainsi un réseau tridimensionnel qu'on ne peut ni dissoudre ni fondre.
Le tableau ci dessous présente les principales propriétés des renforts que nous allons étudier.
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La fibre de carbonecomposant principal de la prothèse est le plus souvent utilisée comme renfort :
Elle appartient à la famille des nanomatériaux4 et son diamètre varie de 5 à 10µm . A l'échelle microscopique, elle est constituée de microcristaux longs et plats alignés parallèlement à l'axe de la fibre. C'est l'alignement de ces microcristaux qui rend la fibre très résistante par rapport à sa taille et son poids (3026 MPa/g/cm3). Ce sont des milliers de fibres de carbone qui sont nécessaires pour obtenir un fil qui pourra ensuite être tissé.
Voici les différentes étapes de la fabrication de la fibre de carbone sous la forme d'un schéma selon TORAY, leader mondial depuis l'industrialisation des fibres de carbone au début des années 1970 :
Plus simplement, la fibre de carbone est fabriquée à partir de précurseurs : les fibres de polyacrylonitrile (fibres de PAN). Ces dernières sont oxydées vers 200-300°C pendant une durée allant de 30 minutes à 3 heures et deviennent infusibles. Ces fibres sont ensuite carbonisées sous atmosphère de diazote, c'est à dire que les fibres sont débarrassées de tout composant organique et possèdent alors une teneur en carbone élevée proche des 80%. Ce processus permet d'obtenir des fibres composées à 90% de carbone, 8% d'azote, 1% d'oxygène et moins d' 1 % d'hydrogène. Un traitement complémentaire de graphitation peut être effectué pour obtenir des fibres composées à 99% de carbone.
Nous nous intéressons ici au type de carbone utilisé pour cette fibre, le nanotube de carbone. Il peut être décrit comme un feuillet de graphène enroulé sur lui même apparaissant alors de forme cylindrique ou tubulaire. Un feuillet de graphène est constitué d'une seule couche d'atomes de carbone organisés selon un réseau cristallin hexagonal. Le nanotube formé est appelé mono-paroi. Mais il existe également des nanotubes multi-paroi qui constituent un renfort très efficace de la matrice époxy.
Les fibres de carbone (renfort) sont alignées dans le même sens et pré imprégnées de résine époxy, ce qui va déclencher sa polymérisation5 et par conséquent son durcissement. Le polymère6 de la matrice (la résine époxy) se lie de manière covalente à des groupes chimiques se trouvant à la surface des nanotubes de carbone. Le matériau composite formé est appelé carbone pré-imprégné. Ceci permet aux lames de posséder à la fois les qualités de la résine mais également celles des fibres de carbone, c'est-à-dire qu'elles sont élastiques, légères et assez dures pour ne pas être cassantes. Ce matériau est gardé au frais pour éviter que la résine ne fonde.
Les avantages de ce matériau pour la fabrication de prothèse sportive sont nombreux :
① Une forte résistance aux mouvements du coureur (traction et compression avec résistance de 5407 MPa )
② Une faible densité et donc légère pour l'athlète (la fibre de carbone est 5 fois plus légère que l'acier avec une densité de 1,79 g/ cm3)
③ Une forte résistance au temps même si la prothèse sportive ne s'utilise pas au quotidien
④ Une grande flexibilité et une grande rigidité (qui reprend sa forme)
⑤ Une très bonne tenue à haute température (2000°C)
⑥ Une bonne conductivité thermique et électrique
Cependant la réparation de cette fibre est très compliquée voire impossible : en raison de sa rigidité, elle est sensible aux chocs. De plus elle présenterait un risque potentiel pour la santé. En effet sa structure est proche de celle de l'amiante connue pour ses risques cancérigènes.
Dernier inconvénient, la fibre de carbone est très coûteuse (environ 20€ le kilo).
Ce matériau sert à la fabrication de la lame des prothèses les plus efficaces du marché : les flex-foot cheetah.
Il est à noter que le nombre de couches de fibres de carbone pré-imprégné dépend du poids de la personne utilisant la lame. De plus ce nombre de couches est plus important aux points où la contrainte est plus élevée, comme l'apex (= sommet) de la courbe « J » que forme la lame, et moins important aux endroits nécessitant moins de souplesse comme la pointe des pieds.
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La fibre de verre peut être utilisée en complément de la fibre de carbone:
Elle désigne un filament de verre très fin mais également les matériaux composites renforcés avec cette fibre. Elle possède plusieurs qualités :
① Résistante aux chocs
② Faible densité (2,49 g/cm3)
③ Bonne Inertie chimique7
④ Prix faible (3€ le kilo)
Enfin le kevlar peut également être utilisé mais c'est plus rare :
Le
kevlar est un polymère
thermoplastique
(notion
définie ultérieurement) appartenant
à la famille des polyamides aromatiques également
appelé aramides puisque
cette
famille se caractérise par des groupes amides.
C'est une fibre synthétique possédant des propriétés très avantageuses telles que :
① Sa résistance à la traction, à l'élongation (2,5% supérieur au carbone) et aux chocs
② Sa légèreté en raison de sa faible densité (1,44 g/cm3 inférieur au carbone)
③
Son
élasticité
Ce qui fait la force de ce matériau ce sont les nombreuses liaisons hydrogènes présentes tout au long de sa molécule comme on peut le voir ci-dessous :
Une liaison hydrogène peut s'établir entre un atome d'hydrogène lié par covalence à un atome A très électronégatif8, ici O, et un atome B très électronégatif porteur d'un doublet non liant, ici N. La longueur de la liaison hydrogène est de 200 pm environ. Ces liaisons permettent la rigidité de la prothèse et un avantage pour l'athlète puisque cette dernière ne se déforme pas pendant la course.
Néanmoins la fibre de kevlar se caractérise par une faible tenue en pression mais également par une forte absorbance à l'humidité lui faisant perdre une partie de sa rigidité.
B- La composition de l'emboîture.
L'emboîture est également réalisée avec un matériau composite dont le renfort est la fibre de carbone dont nous avons vu les caractéristiques précédemment.
Rappelons que l'emboîture est réalisée sur mesure pour éviter tout mouvement du moignon dans l'emboîture.
A la différence du carbone utilisé pour la lame celui-ci est appelé carbone tubulaire dans lequel est ensuite injectée une nouvelle matrice : de la résine acrylique. La résine époxy était avant utilisée, néanmoins, elle provoquait beaucoup de poussières dans les ateliers et donc un danger.
La résine acrylique à la différence de la résine époxy appartient à la catégorie des résines thermoplastiques. Ce type de résine est constitué de chaînes linéaires ou ramifiées à liaisons covalentes. Ces chaînes sont liées entre elles par des liaisons de type Van der Waals et hydrogène par exemple. Les interactions de Van der Waals sont des interactions entre dipôles électriques9 mais moins fortes que les liaisons hydrogènes. Les thermoplastiques peuvent être dissous dans certains solvants et se ramollissent sous l'effet de la chaleur.
Les fibres composant le carbone tubulaire sont placées dans des sens différents contrairement à la lame où les fibres suivent le même axe. Cette disposition s'observe sur la photo d'un morceau d'emboîture ci-dessous (offert par Damien Guillot).
Le but est de rendre ce matériau résistant aux différents mouvements du corps et de répartir tout le poids de l'utilisateur uniformément sur l'emboîture. Il est à noter que le nombre de couches carbone tubulaire/résine acrylique dépend seulement du poids de la personne.
C- Les composants du manchon.
Enfin le manchon peut se composer de plusieurs matériaux:
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Il peut s'agir d'un gel de copolymère :
Ce gel contient des copolymères10. mais également des antioxydants pour le corps aidant la circulation sanguine et la cicatrisation de la peau. Les copolymères sont obtenus lorsque la polymérisation s'effectue sur deux ou plusieurs monomères différents.
Ce manchon est principalement recommandé pour le confort du patient grâce à ses nombreux avantages :
① Une répartition des pressions sur l'ensemble du moignon très confortable.
② Une très grande tolérance de la peau.
③ Une bonne absorbance des chocs car il se déforme facilement.
Néanmoins ce manchon est très fragile car ce gel est très souple. Il est donc recommandé pour les patients ayant un moignon osseux, à la peau sensible dont l'activité est moyenne ou faible.
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Le polyuréthane peut être également utilisé :
Le polyuréthane est une matière plastique que l'on peut trouver sous différentes formes : solide ou liquide.
Il s'agit d'un polymère composé d'unités organiques liées entre elles par des fonctions carbamate10, également appelées uréthane. Il possède les mêmes avantages que le manchon copolymère ci dessus.
Il est légèrement moins confortable mais permet une meilleure capacité d'amortissement et une meilleure tolérance de la peau. Il convient aux patients dont le moignon est le plus sensible notamment ceux ayant subi une greffe.
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Le silicone est le plus souvent utilisé :
Le silicone est un polymère dont les propriétés remarquables sont dues à la présence d'une chaîne composée des éléments silicium et oxygène sur laquelle des groupes se fixent (ici des groupes méthyles CH3). En effet la liaison Si-O possède une énergie de liaison de 88,2 kcal.mol-1 contre 83,1 kcal.mol-1 pour la liaison C-C.
Ce manchon est donc très solide et permet de nombreux avantages :
① Une grande résistance à l'oxydation, à la sueur, à la température et au temps.
② Matériau élastique et donc facile à travailler
③ Une grande inertie chimique
Cependant il apporte moins de confort que les autres types de manchon mais il résiste beaucoup mieux dans le temps. Il convient donc à des patients plutôt actifs. Ce type de manchon est le plus utilisé par les sportifs.
Le manchon iceross® sport vendu par ossür est conçu spécialement pour les utilisateurs de la prothèse sportive puisqu'il possède de nombreuses qualités :
De l'Aloe Vera et plus étonnant de la vaseline sont incorporés au silicone dans le but d'assainir la peau et de l'assouplir.
Le menthol peut-être associé à ce soin actif de la peau. En effet selon la médecine traditionnelle japonaise, il permettrait de soigner les petites irritations et donc d'apaiser la peau du moignon très sollicitée durant l'effort.
Deux couches de silicone agissent ensemble. La couche intérieure assure le confort et une protection de la peau tandis que la couche extérieure absorbe les chocs et assure une certaine stabilité du moignon.
Un revêtement en tissu est présent pour que le manchon soit plus résistant à l'usure et donc au temps. Son but est également de permettre une élasticité confortable pour l'utilisateur.
Une
matrice est intégrée à l'extrémité distale du manchon pour
assurer un bon étirement du moignon mais aussi pour diminuer le
pistonnement12.
Toutes ces caractéristiques ont pour seul but de trouver un équilibre entre le confort de l'utilisateur et l'activité élevée de ce dernier.
Conclusion partielle : Chaque élément de la prothèse se caractérise par des matériaux aux propriétés différentes. Ils permettent ainsi de répondre parfaitement à tous les besoins d'un amputé. La fibre de carbone semble être indispensable à l'amélioration des performances sportives d'un amputé muni de la flex-foot cheetah puisqu'elle possède des propriétés innovantes et essentielles pour contrer les contraintes que subit le corps pendant la course.
Néanmoins
la forme de la prothèse participe également à l'amélioration des
performances de l'athlète amputé.